Les associations de vidéastes en Suisse Romande
Chères et chers collègues et amis vidéastes,
Le paysage de la création audiovisuelle en Suisse romande traverse une période charnière. Nos pratiques évoluent, les besoins changent, et les structures censées nous représenter peinent parfois à suivre le rythme. Au sein d’Arkaös, nous croyons profondément à la force du collectif et au rôle crucial que peuvent jouer les associations pour faire entendre nos voix, défendre nos métiers et nourrir nos passions.
Dans ce contexte, nous souhaitons partager avec vous un témoignage fort, lucide et engagé, rédigé par Luc Dupuis, ancien président de Zebra Prod. Il y livre une réflexion sans détour sur l’état actuel des associations de vidéastes en suisse romande, leurs forces, leurs faiblesses, et surtout les pistes pour un avenir plus uni et plus ambitieux.
Ce texte n’a pas vocation à mettre tout le monde d’accord, mais à ouvrir un vrai dialogue. Nous vous invitons à le lire avec attention, à y réagir, à témoigner de vos propres expériences, à critiquer, proposer, construire.
C’est ensemble que nous pouvons faire évoluer nos structures. Et c’est maintenant que la discussion doit s’ouvrir.
11 février 2025
A des amis et « collègues » du monde du multimédia non commercial
Au moment de «passer la main» de mes tâches de secrétaire et de co-président de l’Association ZebraProd, j’avais envie de partager avec vous une réflexion personnelle qui m’est venue ces derniers mois.
J’ai 73 ans, je suis venu sur le tard à la vidéo, il y a une vingtaine d’années lorsque m’a été offerte un petit caméscope : j’ai découvert le moyen d’expression que pouvait être le montage d’images animées, mixées avec des sons, de la musique, des textes. Je me suis réjoui et amusé à créer, sans prétention, des courts métrages d’E-motion (www.papilu.ch), pour ma famille et mes amis.
Malgré mon ancienneté, je n’ai donc pas vécu la période «Super8 ou VHS». J’ai suivi des formations à Pôle Sud à Lausanne, puis j’ai rejoint l’Association ZebraProd, créée en son sein il y a 30 ans. J’y ai découvert des passionnés, tous plus jeunes que moi (c’était pas compliqué !) – ce qui me réjouissait : nous avons créé, mené des projets, appris ensemble. Au Comité, nous nous sommes souvent demandés pourquoi nous étions si peu (une vingtaine, dont une dizaine d’actifs) et pourquoi il était si difficile d’être rejoints par de nouveaux membres :
retenue à s’engager dans une association, individualisation ?
pas de besoin de rejoindre une association pour filmer, on peut le faire avec son téléphone ?
membres Zebra trop « vieux » pour faire envie ?
consommation d’images plutôt que création de ses propres images ?
trop d’autres sollicitations dans la vie de chacun ? ...
ZebraProd balance entre : une amicale de copains/ines qui ont plaisir à tourner un film sans se prendre la tête, versus des passionnés de cinéma qui ont envie de grandir en qualité ?
Pourtant, lors de l’organisation de deux KinoKabaret (week-end de création collective de courts-métrages : scénario, tournage, montage, projection en 48 heures), nous nous sommes réjouis de l’intérêt de nombreuses personnes, y compris des plus jeunes.
En 2023, nous avons rejoint Swissmovie, la faitière suisse du cinéma «non commercial» https://cinemakers.ch/pages/home.php?acc=home-de. Cela nous a permis de faire concourir les réalisations de ZebraProd ou de ses
membres, dans des concours régionaux, nationaux et même internationaux. «Je vis pour elle», une réalisation collective de ZebraProd de 2022 a ainsi pu être projetée en 2024 à Poznan, au Festival international de l’UNICA.
Nous avons pu rencontrer d’autres clubs romands et échanger sur leurs mêmes difficultés à renouveler leur communauté de membres ; cette situation impacte également Swissmovie, qui vit des cotisations des associations ou clubs membres et qui, année après année, fait face à des charges d’organisation des concours, non compensées par des recettes correspondantes.
La fin d’une époque ?
J’en étais donc à me dire que nous vivions la fin d’une époque, où des associations comme ZebraProd et Swissmovie, créées au siècle passé, allaient péricliter, faute de relève : aujourd’hui, on peut en effet faire son film avec son téléphone et/ou son ordinateur et pourquoi se compliquer la vie à le faire avec d’autres ??
Découvertes
C’est assez récemment, par l’une des membres de ZebraProd que je découvre qu’il existe en Suisse romande un réseau très vivant de vidéastes, réunis en collectifs, festivals, et associations, comme par exemple :
Doc it yourself, Neuchâtel : collectif de cinéastes pour la production et la distribution de films à but non lucratif, cinéma itinérant https://www.docityourself.com
Batcam, CinémaINDépendantROMand, Lausanne-Prilly : jeunes cinéastes passionnés qui s’associent pour créer en commun et organiser des projections https://batcam.org
Kiff Kiwi Festival, Allaman VD, le plus grand des petits festivals https://kiff.kiwi
Association NeonNights Films, Genève
KinemaGraphien, écriture et réalisation de films collaboratifs, Tavannes (BE) : https://kinemagraphien.ch/historique/
Trois Petits Points, Vevey : tournage de courts-métrages, clips, écritures de fictions, théâtre etc. https://trois-petits-points.ch
Association des jeunes vidéastes, Lausanne https://jeunesvideastes.ch : promotion du jeune cinéma suisse, espace de partage et de création, soutien pour demande de fonds
Club Réalisateur Suisse Romande : créer un réseau entre les différents réalisateurs, amateurs ou professionnels https://www.facebook.com/groups/343351745783033/about?locale=fr_FR
Me voilà donc chamboulé dans mes croyances : «eh bien oui, il y a aujourd’hui, en 2025, des passionnés – le plus souvent plus jeunes - qui font ensemble du cinéma et qui font vivre des associations et des collectifs !»
Deux pistes parallèles
Comme devant mon écran de montage Final Cut, je vois deux pistes parallèles qui n’ont pour l’instant pas pris le chemin de se rejoindre :
Les clubs et associations nés au siècle passé, au temps où il fallait mettre en commun les caméras, les studios et tables de montage, où la pellicule coûtait cher. Elles ont migré sur le numérique, leurs membres vieillissent, et peinent à convaincre de nouveaux membres plus jeunes ; certains clubs disparaissent, tel que, récemment, le Camera-club de Porrentruy (JU) (Couleurs locales TSR, février 2025 : Émission RTS
Des collectifs et associations, nés dans le siècle, créés par des passionnés/e de cinéma des générations suivantes, qui n’ont pas connu l’analogique et qui ont grandi avec l’image et le son numériques.
Pourquoi parallèles ?
Des générations qui ne se rencontrent pas ? Pourquoi les vidéastes passionnés non commerciaux, respectivement des 20ème et 21ème siècle, ne créent-ils pas plus ensemble et ne font-ils pas vivre ensemble les associations actuelles? Dans d’autres milieux associatifs pourtant, par exemple sportifs, les anciens accueillent les jeunes, participent à leur formation, puis leur font la place et l’association peut ainsi évoluer dans le temps. Pourquoi pas là ?
Des fonctionnements différents ? Les nouvelles générations aspirent-elles à un fonctionnement plus horizontal de type «collectif», différent des structures «pyramidales» héritées des institutions politiques ou ecclésiastiques de leurs prédécesseurs (Président, comité, assemblée / Association, fédération nationale/ internationale) ?
Créer ensemble un collectif de personnes ayant les mêmes buts, plutôt que de chercher à rejoindre une association qui a déjà ses propres règles ?
Une vision créative différente ? Les associations du 20ème siècle plutôt tournées sur le documentaire de voyage, d’activités et de métiers humains, alors que celles du 21ème s’orientent vers la fiction et son exigence d’un solide scénario, d’une gamme plus nombreuse de cadrages différents, d’un montage qui donne du rythme, de possibilités d’acting ?
...... ?
Un exemple de synthèse ?
L’Association ARKAÖS à Sierre, l’Association valaisanne des vidéastes amateurs pour la promotion de la création vidéo https://www.arkaos.ch. créée en 2003, est toujours très vivante aujourd’hui, comptant plusieurs dizaines de membres.
Dans le reportage de Canal9 de 2023 sur les 20 ans d’Arkaös, https://canal9.ch/fr/arkaos-20-ans/, on découvre qu’elle a grandi et s’est affirmée par les «mini-courts», des rendez-vous mensuels le dimanche soir, où chacun/une venait projeter son mini-court, réalisé durant le mois sur un thème donné : incitation et «obligation» à la création, qui permet de progresser grâce aux autres (minute 04 :30), que plusieurs membres d’Arkaös sont devenus professionnels du cinéma ou de l’audio-visuel (minute 26 :00), que les Kino Kabaret fédèrent beaucoup d’énergie positive (minute 35 :00) et que la nouvelle génération rejoint l’association (minute 39 :00).
Mixer les pistes ?
Comment faire se réunir ces deux pistes parallèles, sans passer par la fusion ou l’absorption de l’une par l’autre, mais plutôt par une inclusion? Chercher des partenariats ? Organiser ensemble des événements autour du cinéma ? Partager les compétences, les savoirs, les réseaux relationnels des uns et des autres ?
Je n’ai pas de solution ni de recette : je tenais juste à témoigner de mon observation personnelle, certainement et forcément très subjective et je vous remercie d’avoir pris le temps d’en prendre connaissance.
Bonne suite à chacune et chacun.
Cordialement.
Luc
« La coopération est nécessaire car elle démultiplie le pouvoir d’agir de chacun »
La Fonda, fabrique associative